Livart
du 14 septembre au 29 octobre 2023
Directrice : Cindy Tessier-Trudeau
3980, rue Saint-Denis, Montréal, QC, H2W 2M2
514.880.3980
Exposition :
Les plus beaux cauchemars
Artistes :
Muriel Ahmarani Jaouich, Véronique Chagnon-Côté, Pierre Dorion, Laura Findlay, Nicolas Grenier, Chantal Khoury, Elise Lafontaine, Malcolm McCormick, Jérôme Nadeau, GaHee Park, Laurence Pilon, Janet Werner, Lan “Florence” Yee
Commissaires :
Anaïs Castro & Alice Ricciardi
Les crises qui affectent l’humanité, qu’elles soient écologiques, politiques ou sociales, ont engendré des dilemmes philosophiques et éthiques complexes. En conséquence, exister dans le monde actuel implique inévitablement de traverser des contradictions métaphysiques. Dans une société politique et économique de plus en plus polarisée, une posture radicale en est une qui défend précisément l’intersection. Il s’agit d’une position qui évite d’être catégorique et qui considère plutôt une chose à travers son opposé; qui cherche une perspective par le biais de son revers. C’est une posture ouverte qui laisse place au dialogue et au discours; qui accepte de se faire prendre en défaut. C’est une disposition pour l’empathie.
Cruel to Be Kind / Les plus beaux cauchemars est un projet qui s’attarde précisément à ces processus de confluence. Il explore les diverses manières dont les formes de pratique peuvent être présentées comme porteuses de structures et d’idéaux esthétiques contradictoires tout en plaidant pour des espaces de discours et en défendant des positions de compassion, d’amalgame et d’intersectionnalité. Le projet se déploie dans trois espaces qui ouvriront à différents moments durant l’automne 2023.
La première itération se déroule au Livart et inclut treize artistes travaillant avec divers styles et méthodes de peinture. Cette exposition explore les contradictions spatiales, l’habileté de la peinture à représenter des espaces physiques existants avec précision, mais aussi à les imaginer différemment, les projetant dans des passés et des futurs distants. La peinture permet aussi la représentation d’espaces psychologiques ou théoriques qui cartographient les expériences métaphysiques dans des plans bidimensionnels. L’espace du Livart se prête merveilleusement bien à ces expérimentations. Le spectre de cet ancien presbytère est toujours perceptible dans la galerie puisque des éléments architecturaux ont été préservés, tels que des moulures de bois et des cheminées. Pourtant, la galerie, entièrement peinte en blanc, est lumineuse, moderne, au goût du jour et presque futuriste. Une enfilade de pièces s’ouvre sur la grande galerie; une vaste salle avec des plafonds hauts de deux étages à laquelle on accède par une succession de portes couvertes de miroirs qui nous donnent l’impression d’être dans une maison des glaces. De plusieurs façons, le Livart est un espace ludique et la sélection des artistes le souligne. Plusieurs abordent conceptuellement la notion de jeu. Dans un certain nombre d’œuvres, on assiste à un glissement de la peinture vers une autre discipline en faisant référence à d’autres pratiques artistiques telles que le collage, la photographie, la sculpture, l’architecture et même l’imagerie numérique, témoignant ainsi de la propension unique de la peinture au mimétisme.
C’est le cas de Véronique Chagnon-Côté qui illustre des espaces urbains submergés de représentations numériques d’éléments à la fois architecturaux et figuratifs. Pierre Dorion représente également des espaces architecturaux captés par la photographie durant diverses excursions avec une exactitude déconcertante.
Les compositions minimalistes de Dorion, souvent illustrées par des palettes monochromatiques, aplatissent le plan pictural, permettant à son travail d’être étudié au niveau purement formel telles des surfaces peintes parfaitement abstraites tout en conservant une représentation quasi photographique de leur sujet architectural d’origine. La pratique de Jérôme Nadeau existe dans un chevauchement constant entre les techniques empruntées à la photographie, et les matériaux et les théories fermement ancrés dans la tradition de la peinture. De façon similaire, Laura Findlay s’appuie sur du matériel photographique, principalement des images captées la nuit avec un flash, pour représenter des natures mortes inquiétantes. Son processus implique le marquage soustractif emprunté aux techniques d’impression auquel elle combine habilement la tradition bien établie de la peinture à l’huile. Tout autant provocante est la pratique de Nicolas Grenier qui associe une approche systématique des formes et des couleurs semblable à celle des Plasticiens à une perceptive analytique de la dynamique complexe du discours politique contemporain. Janet Werner manipule les images éditoriales et publicitaires, elle les recadre et les plis, perturbant ainsi « les images finales » pour les suspendre dans un état d’échec perpétuel. Ce processus de déconstruction et de reconfiguration soustrait la figure à la consommation passive et l’intègre à une confusion de messages complexes qui ne peuvent jamais être pleinement assimilés. Son travail est à la fois triomphant et entravant.
Quant à elle, GaHee Park fracture les frontières entre le désir et la répulsion, positionnant le corps comme le lieu d’un magnétisme ravissant pour un·e amant·e mais tout autant attirant pour un moustique indésirable. Le travail de Park nous rappelle que les fruits sont le plus sucrés et le plus juteux tout juste avant qu’ils ne pourrissent, et que tout existe au seuil de son revers.
Cruel to be Kind / Les plus beaux cauchemars est une invitation unique à envisager la pertinence de la peinture, son dynamisme et sa capacité d’expression transformatrice. Elle remet en question les notions préconçues entourant la peinture en encourageant une appréciation de la diversité des voix et des perspectives dans ce domaine : de la figuration à l’abstraction, des détails méticuleux à l’expérimentation ludique. L’exposition célèbre les qualités uniques de la peinture comme discipline, son habileté à refléter la réalité, à imaginer des modèles alternatifs et à transmettre des messages complexes par un jeu de formes, de couleurs et de gestes. Elle met en outre l’accent sur l’importance du dialogue, du discours et de la compassion en embrassant l’intersectionalité des perspectives contrastantes. Il ne fait aucun doute que les artistes de l’exposition démontrent avec force le potentiel de la peinture à nous aider à traverser les défis qui nous attendent.
par Anaïs Castro