Les plus beaux cauchemars
Les crises qui affectent l’humanité, qu’elles soient écologiques, politiques ou sociales, ont engendré des dilemmes philosophiques et éthiques complexes. En conséquence, exister dans le monde actuel implique inévitablement de traverser des contradictions métaphysiques. Dans une société politique et économique de plus en plus polarisée, une posture radicale en est une qui défend précisément l’intersection. Il s’agit d’une position qui évite d’être catégorique et qui considère plutôt une chose à travers son opposé; qui cherche une perspective par le biais de son revers. C’est une posture ouverte qui laisse place au dialogue et au discours; qui accepte de se faire prendre en défaut. C’est une disposition pour l’empathie.
L’histoire de la peinture occidentale a été divisée par les priorités esthétiques; le débat opposant les lignes néoclassiques de Jean-Auguste-Dominique Ingres à l’utilisation des couleurs romantiques et libres d’Eugène Delacroix au 19e siècle, ou encore celui opposant le formalisme de Clément Greenberg à l’approche gestuelle d’Harold Rosenberg cent ans plus tard. De tels paradigmes formels ne devraient pas être considérés comme de simples vestiges du passé ou renvoyés à des formes opposées de pratiques picturales. En fait, ces positions esthétiques étaient des substrats à des idéaux utopiques, des objectifs politiques et des aspirations sociales incompatibles. Ces conflits ont façonné l’histoire sur laquelle l’art contemporain s’est construit, ainsi que les paradigmes et les objectifs de la société.
De nos jours, plusieurs peintres qui ont hérité de ces dualités historiques choisissent de situer leur pratique aux croisements et d’explorer quel potentiel se cache dans le modèle de l’hybridité. Ces artistes ouvrent un espace pour la divergence à même leur pratique, cherchant à obtenir un changement. Cruel to be Kind / Les plus beaux cauchemars est un projet qui s’attarde précisément à ces processus de confluence. Il explore les diverses manières dont les formes de pratique peuvent être présentées comme porteuses de structures et d’idéaux esthétiques contradictoires tout en plaidant pour des espaces de discours et en défendant des positions de compassion, d’amalgame et d’intersectionnalité.
Cruel to Be Kind / Les plus beaux cauchemars se déploie dans trois espaces qui ouvriront à différents moments durant l’automne 2023. La première itération se déroule au Livart et inclut treize artistes travaillant avec divers styles et méthodes de creation. Cette exposition explore les contradictions spatiales, l’habileté de la peinture à représenter des espaces physiques existants avec précision, mais aussi à les imaginer différemment, les projetant dans des passés et des futurs distants. À la Galerie d’Outremont, Cruel to be Kind / Les plus beaux cauchemars devient un espace d’expérimentation qui rassemble le travail de deux artistes dont les intentions esthétiques sont fondamentalement différentes, Delphine Hennelly et Jeanie Riddle. Finalement, le dernier chapitre de cette exposition prend place à la Galerie d’art Stewart Hall, dans le grenier reconverti d’une demeure cossue surplombant le lac Saint-Louis. Pour cet ultime segment, l’exposition se concentre sur des pratiques picturales qui transcendent les frontières de la toile ou du panneau traditionnels, embrassant des plans nouveaux et inattendus qui élargissent la zone picturale vers les domaines sculptural et architectural.
Cruel to be Kind / Les plus beaux cauchemars est une invitation unique à envisager la pertinence de la peinture, son dynamisme et sa capacité d’expression transformatrice. Elle remet en question les notions préconçues entourant la peinture en encourageant une appréciation de la diversité des voix et des perspectives dans ce domaine : de la figuration à l’abstraction, des détails méticuleux à l’expérimentation ludique. L’exposition célèbre les qualités uniques de la peinture comme discipline, son habileté à refléter la réalité, à imaginer des modèles alternatifs et à transmettre des messages complexes par un jeu de formes, de couleurs et de gestes. Elle met en outre l’accent sur l’importance du dialogue, du discours et de la compassion en embrassant l’intersectionnalité des perspectives contrastantes. Il ne fait aucun doute que les artistes de l’exposition démontrent avec force le potentiel de la peinture à nous aider à traverser les défis qui nous attendent.